Dis, tu crois qu'on se retrouvera un jour, tous les deux ?
Tu crois qu'un jour, comme là, là, dans cette rue, par la fenêtre, je te verrai, je t'apercevrai,
Et puis, et puis.. Je ne sais pas.
Je suis sensible, un peu trop même.. Tu me connais.
Je ne saurai pas trop comment réagir. Je pleurerai d'abord, sans doute, de joie, de soulagement, de l'arrachement de cette peine si coutumière qu'elle en était devenue rassurante, d'un peu de tout, de beaucoup pour rien. Et puis..
Et après ? Tu ne devines pas ?
C'est pourtant évident.
Je sortirai, peu importe les larmes que je n'aurai pas le temps d'essuyer, je me jetterai dans tes bras, et ce sera fait : je ne te relâcherai plus jamais, et ça, tu sais comment je suis, je m'y tiendrai."
Un fragment de conversation, pêché, très, trop profond pour ne recueillir plus d'une minuscule portion de l'immense intégralité, au creux des pensées de la jeune créature.
Un discours silencieux, sans destinataire, ou, rectifions, car il y en a un, mais celui ci est absent, et parce que la télépathie n'a toujours pas été démontrée comme existante, toute réponse de sa part pourrait ainsi être prise comme hallucination auditive, comme signe de démence, comme un début de fin, comme quelque chose qu'il vaut mieux ne pas espérer.
En bref ? Un monologue, comme une prévision, un fantasme confus de conciliabule entre une fillette et son amant.
"T'y crois toi, qu'on sera réunis, que "Nous deux", bin ça deviendra un mot singulier; puis le singulier, c'est bien connu, ça peut pas être séparé, et dis, tu peux m'affirmer pour sur qu'on se retrouvera ?
Certain ? Parce que moi, moi je.. Mais si tu n'es pas là ? Et si je reste ici, je t'attend, mais tu ne viens pas ? Et si je te cherche, ici, partout, sur Terre, au ciel mais que je ne trouve rien qui soit Toi ?
Et si tu m'oublies ? Et si tu m'as déjà oublié, si je ne suis plus qu'un reflet flou du passé, si tu ne sais plus qui je suis, et si tu n'arrives même plus à te représenter mon visage, le visage de celle qui t'aime, qui est folle de toi, le visage de celle qui t'attend, de celle qui fait de son mieux pour ne pas changer, pour que tu puisses la reconnaître, dans dix minutes, dix jours ou dix ans.. J'ai peur.. J'ai tellement peur, tu ne t'imagines même pas.
Pourquoi es-tu parti ? Pourquoi m'avoir abandonné dis moi, pourquoi ?"
Pour pouvoir réellement comprendre cette situation dans son contexte, une réponse du principal concerné aurait été la bienvenue.
Or, celui était absent.
Ainsi, pendant que cette tempête d'hystérie grondait pour la fillette désespérée, confortablement installé dans le bistro du coin, l'homme qui l'avait laissée à peine une heure auparavant, le pauvre; il n'avait aucune idée du drame qu'il avait provoqué; dégustait sa bière, et ne pensait à rien, tout simplement.
Photos : Knas